Présentation: Des pages qui résonnent
Par Virginie Laliberté-Bouchard
Les articles et vignettes présentés dans ce dossier thématique présentent le projet de recherche « Vie musicale au Québec » (VMQ) à travers sa méthodologie, ses objectifs et les résultats de ses premières étapes, et mettent en lumière la richesse et la complexité des liens entre les espaces et les acteurs de la vie musicale montréalaise de 1919 à 1952. Ce dossier ne cherche pas à dresser un compte-rendu exhaustif des événements musicaux recensés lors des premières étapes du projet, mais plutôt à inviter le lecteur à faire l’expérience d’une pensée historiographique différente à travers une méthodologie conçue de façon à permettre à tous les publics de repenser les catégories traditionnelles en historiographie de la musique au Québec et de partager l’esquisse d’une trame narrative plus complète et inclusive pour l’histoire de la musique dans la province.
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Qu’ils portent sur un lieu (l’Hôtel Windsor, le Théâtre français, un atelier de lutherie) un acteur (Corinne Dupuis-Maillet, Rosario Bayeur) ou une journée particulière (le 6 décembre 1921) les vignettes et articles regroupés dans ce dossier proposent de repenser le concept de « vie musicale » en termes de relationnalité et d’intersectionnalité. À travers ce dossier, les auteurs et autrices montrent comment le projet « Vie musicale au Québec » a cherché à se défaire des catégories traditionnelles de la recherche historique en musique au Québec (le genre musical, le contexte linguistique et le type de pratique, par exemple amateur ou professionnel) pour la présenter dans son déploiement (personnel, relationnel, communautaire), sa portée (géographique, temporelle, sociale) et son contexte (local et international, historique et contemporain).
L’article d’introduction (Virginie Laliberté-Bouchard), qui porte sur le concept de vie musicale et sur la façon particulière dont le travail de recherche s’est articulé, est ainsi suivi par des articles et vignettes révélant chacun non seulement un aspect différent de la vie musicale elle-même, mais aussi du travail de recherche qui a permis d’en retracer les lignes. Composé par Raphaël Laliberté, le survol historique de la période choisie pour le projet-pilote, soit le Montréal des années 1919 à 1952, présente chacune des dates sélectionnées pour la recherche en les situant d’abord dans leur contexte historique et socio-politique, puis en explicitant brièvement les raisons ayant motivé le choix de chaque date par les co-chercheuses. Des changements politiques majeurs aux avancées technologiques, l’article montre de quelle manière la vie musicale montréalaise s’est articulée, à la fois comme le reflet de changements culturels et sociaux et leur théâtre même. |
L’article de Pascal Desroches fait un retour sur l’aspect critique et féministe de la méthodologie VMQ en contextualisant, à travers les données de la recherche, les différentes possibilités d’analyse et de présentation des résultats. Cet article utilise la journée du 6 décembre 1921 pour illustrer la dissonance entre la participation réelle des femmes à la vie musicale montréalaise et l’impression pour le moins problématique que le simple cumul des données pourrait en laisser. L’article souligne ainsi les possibilités historiographiques et narratives que le projet-pilote a permis d’envisager, considérant l’objectif d’établir une méthode inclusive des différentes communautés marginalisées, voire effacées par les méthodes traditionnelles de recherche sur la musique au Québec.
Plongeant au cœur des données, les articles et vignettes de Tyler Hastings et Noémie Marchand montrent la complexité des données de lieux et l’importance d’une méthodologie réflexive et fluide. L’article de Noémie Marchand sur la complexité du travail des données relatives aux lieux détaille la façon dont la méthode de recherche et d’entrée de ces données a pris forme, les difficultés auxquelles les équipes de recherche ont fait face et la façon dont la réflexion collective a influencé non seulement l’organisation et le traitement des données mais aussi notre conception de la vie musicale elle-même. La vignette qui l’accompagne est un exemple parfait du labyrinthe dans lequel les données de lieux ont plongé les équipes : elle vous fait voyager à travers l’histoire d’un « théâtre aux mille noms » qui a donné du fil à retordre aux assistants de recherche. La vignette de Tyler Hastings donne un exemple complémentaire de l’importance des données de lieux, cette fois en montrant la richesse, la mouvance et l’aspect relationnel de ceux-ci dans le tissu culturel musical de Montréal. L’Hôtel Windsor redevient ainsi, à travers la méthodologie VMQ, non pas une simple adresse, mais un lieu significatif à travers lequel des personnalités telles Corinne Dupuis-Maillet ont laissé leur marque.
Enfin, la contribution de Francis Lapointe à ce dossier thématique permet de creuser davantage la question du lieu comme donnée incontournable de la vie musicale montréalaise à travers le cas particulier des ateliers de lutherie. Cet article met en lumière un aspect supplémentaire du projet « Vie Musicale au Québec », soit la collaboration interdisciplinaire et interinstitutionnelle avec des experts de différents domaines. La collaboration de Francis Lapointe au projet permet de creuser davantage le concept de « vie » musicale en présentant l’atelier de lutherie comme lieu singulier de la scène musicale montréalaise, à travers lequel s’articule un pan plus intime de cette « vie ». Son article permet de se défaire d’une conception du lieu comme cadre géographique pour y voir plutôt l’espace d’une animation et d’une relationnalité complexes entre musicien, instrument, luthier et atelier. |
Une note sur la composition linguistique du dossier
Ce dossier thématique « Vie musicale au Québec » marque la première publication grand public d’une équipe interuniversitaire et multidisciplinaire regroupant trois co-chercheuses, plus d’une dizaine d’auxiliaires de recherche et autant de collaborateurs et collaboratrices des milieux universitaires, culturels et communautaires.
Les textes de ce numéro sont présentés en français (cinq textes) et en anglais (un texte), faisant écho non seulement aux langues des équipes d’assistants de recherche attachées au projet, mais aussi à celles des données elles-mêmes. Tous les assistants de recherche ayant participé au projet depuis sa mise sur pied sont bilingues (français et anglais), et les communications écrites et verbales des équipes de recherche se sont faites largement en français, avec des interventions en anglais. À travers chaque étape du projet, nous avons voulu donner à chacun la chance de s’exprimer dans la langue de son choix. Les prochaines étapes nous permettront d’élargir le bassin linguistique du projet pour continuer de refléter davantage la diversité et la pluralité des pratiques et communautés musicales dans le Québec de l’époque.
Bonne lecture!
Virginie Laliberté-Bouchard
Virginie Laliberté-Bouchard