Les allègres péripéties d'un slacker
par Justin Ducharme
La première fois que j’ai entendu son nom, le deuxième prénom de Mozart (Amadeus) m’est immédiatement venu en tête. L’image de l’enfant prodige m’a rapidement quitté en voyant le colosse du quartier Rosemont gueuler derrière sa guitare à résonateur. Malgré le contraste, j’ai été, tout comme un nombre grandissant de Québécois, séduit par ce chansonnier aux allures de bum. Le bluesman à dreadlocks nous revient cet automne avec son troisième album intitulé Sorel Soviet So What. Avec ce long jeu, Bernard Adamus semble se distancier du titre de chansonnier et se diriger vers un tout autre cap.
Né en Pologne en 1977, Bernard Adamus est arrivé à Montréal à l’âge de trois ans en compagnie de sa mère et de son frère. Il n’a jamais connu son père, mais porte tout de même son nom. Le petit Adamus grandit dans le Mile-End en écoutant du Plume Latraverse et adopte complètement la culture québécoise tout en sachant s’exprimer en polonais. Enfant turbulent, Bernard s’est fait renvoyer de plusieurs établissements avant de terminer son éducation scolaire avec quelques cours à l’UQÀM (Petrowski 2015). Sur le marché du travail, il a occupé diverses jobines, allant de bus boy à vendeur de sapins au sud de la frontière. L’arrêt de ses activités de la période des fêtes a réveillé l’artiste qui sommeillait en lui, en lui permettant de se consacrer à un projet musical qu’il repoussait depuis longtemps. Grand fan de blues et de hip-hop, l’artiste s’inspire de toute sorte d’affaires: la liste de ses influences est longue. Parmi elles, on y retrouve des artistes tel que le groupe Gatineau, l’écrivain Réjean Ducharme et «n’importe quel black avec une guitare din mains en train de chialer» (Adamus 2016)). Après avoir bricolé un démo, M. Adamus rencontre par hasard le producteur/musicien Éric Villeneuve à un concert. Dans le studio-maison de ce dernier, le nouveau duo confectionne l'album Brun grâce auquel l'ex-vendeur de sapins remportera, à sa grande surprise, le Félix de la révélation de l'année 2011. Éric Villeneuve produira également les deux albums suivants: Numéro 2 en 2012 et Sorel Soviet So What en 2015.
CONTEXTE SORELOIS
Si son premier album est brun et son deuxième noir, Bernard Adamus raconte en entrevue qu'il considère la couleur de son dernier d’être nulle autre que gold (Boulianne et Massé 2015)! En effet, les choses vont bien pour le grand gaillard. Tellement bien qu’il se permet même un cover de «What a wonderful world» lors d’un passage à Québec. On est loin du spleen de Numéro 2. La vie est belle et celle-ci lui sourit. Il n’est pas question de redescendre de son nuage et de revenir en studio pour enregistrer des petites tounes (Papineau 2015). Bernard voulait un album plus vivant et qui reflétait davantage l’énergie de ses concerts:
Si son premier album est brun et son deuxième noir, Bernard Adamus raconte en entrevue qu'il considère la couleur de son dernier d’être nulle autre que gold (Boulianne et Massé 2015)! En effet, les choses vont bien pour le grand gaillard. Tellement bien qu’il se permet même un cover de «What a wonderful world» lors d’un passage à Québec. On est loin du spleen de Numéro 2. La vie est belle et celle-ci lui sourit. Il n’est pas question de redescendre de son nuage et de revenir en studio pour enregistrer des petites tounes (Papineau 2015). Bernard voulait un album plus vivant et qui reflétait davantage l’énergie de ses concerts:
J'étais un peu tanné du country et du folk, du côté nostalgique de ma musique. Je voulais qu'on dépasse le syndrome de la chanson et j'ai perdu le côté du petit gars assis tout seul sur la galerie. Ce gars-là, y'est mort. Over. Terminé. |
En d’autres mots, il veut s’entourer et que ça bouge. C’est donc avec une mentalité de gang et en bon vivant qu'il nous livre son album le plus vigoureux. Inspiré de ses récents périples aux quatre coins du Québec, l’opus est très ancré dans le présent. C’est d’ailleurs en transit que Bernard Adamus a écrit la majorité des chansons de l’album. Voyageant dans son fameux Econoline qu’il surnomme le truck (Cyr 2015), Bernard a su s’inspirer de la route et des aventures qu’elle lui a réservées. Résultat, Sorel Soviet So What respire la route. Dans la même bouffée d’air, il reprend en concert «Faire des enfants» de Jean Leloup qui débute par «J’faisais du pouce depuis une heure dans un trou perdu le malheur». Bernard consomme toujours une grande quantité d’alcool, mais a appris à boire de l'eau et à ne pas fêter tous les soirs comme s’il n’y avait pas de lendemain. S'inspirant souvent de ces soirées arrosées, se souvenir de celles-ci devient évidemment un atout. Qu'ils soient rappés ou chantés, la qualité de ses textes continue d'être relevée. De plus, le rappeur d'occasion aborde d’une façon plus zen les attentes de ses fans et gère mieux la pression qu’avant. C’est donc dans ce contexte de tournée et de bonne humeur que le chanteur d’origine polonaise débarque au réputé Studio Breakglass de la rue Clark de Montréal en compagnie de sa gang de chums musiciens pour enregistrer Sorel Soviet So what. Ce qui avait débuté comme une blague, devient le titre de l'album, un clin d’œil à So far So Good So What de Magadeth.
ANALYSE SOVIÉTIQUE
Écriture blanche sur fond noir, la pochette en carton de l’album est majoritairement noire et non dorée. La photo de couverture est l’œuvre photographique de Bernard Adamus lui-même. Les autres photos sont créditées à Frédérique Bérubé, alors que les dessins macabres du livret de paroles sont la création de Joël Vaudreuil. Place à la musique, l’homme aux divers talents est allé chercher de l’aide pour se détacher du titre de chansonnier. En effet, l’auteur-compositeur s’est entouré d’amis qui ont fait des études en musique: des musiciens «sur la coche» (Lapointe 2015). Ce nouveau band marque l’arrivée du batteur Tonio Morin-Vargas qui remplace Villeneuve à la batterie. Ce dernier avait assumé ce rôle lors des deux premiers albums. On remarque aussi la venue du piano, du banjo et du saxophone. La contrebasse est maintenant présente dans tous les titres, ce qui constitue une première. Précédemment, le tuba assurait efficacement et originalement la basse pour une grande partie des chansons. Une diminution de l’utilisation de l’harmonica, souvent associé au folk américain, est aussi évidente. On la retrouve seulement dans la première pièce de l’album, «Le blues à GG» et «Les étoiles du match». Très présente lors des albums précédents, l’harmonica crée un côté très intime et émotionnel. Son absence laisse la chance au saxophone, au trombone et à la clarinette de se faire entendre. Cela contribue également à donner à cet album un effet plus cabaret, plus big band. L’ensemble de ces nouveaux instruments crée une texture dense jamais atteinte lors des derniers projets.
Malgré des chansons composées guitare-voix, plus de place est accordée aux autres musiciens lors de leurs jam sessions et des enregistrements. Le tout se transforme en un véritable trip de band où découle une grande originalité. Du coup, une grande variété de styles musicaux est perceptible tout au long du disque. Au style folk/blues de Bernard Adamus, des airs de jive, de boogie-woogie et même de jazz sont ajoutés. Toutes les compositions ont été enregistrées live. Regroupés en cercle au studio Breakglass, les musiciens disent avoir eu beaucoup de plaisir à enregistrer Sorel Soviet So What. L’énergie et la vitesse des chansons en sont un indicatif. Beaucoup plus festives, elles sont davantage représentatives des soirées arrosées des concerts. Quelques enregistrements au studio Migratoire ont complété le tout.
Pour ce qui est des paroles, on retrouve une certaine continuité avec les albums précédents. En effet, les fumeurs de Pall Mall et buveurs de Pabst sont encore bien représentés, mais cette fois, on sort de l’Île et on se transporte davantage sur la route. Les textes sont variés et très travaillés comme l’explique leur créateur: «Pour avoir l’air du meilleur slacker au monde, ça prend de l’ouvrage pareil.» (Lapointe 2015) À la fois rappeur et conteur, l’auteur joue avec les mots avec une aisance surprenante. Mélangeant patois, joual et anglicismes, le poète du truck propose une prose intéressante, originale et sans prétention. Les paroles défilent à une vitesse impressionnante et le livret contenant les paroles devient très utile pour des passages où le parolier embraye en vitesse supérieure. Défilant à toute allure, les textes sont agencés au tempo de la musique. Le contenu reste encore très personnel, mais moins centré sur lui. En effet, les histoires traitent davantage des personnes de son entourage, ce que Bernard considère comme positif:
C'est ça, j'ai assez parlé de moi. Je me raconte quand même beaucoup, mais de façon moins intrusive. Là, je comprends mes limites quand j'écris. C'est mieux d'appeler mon ex et de lui dire ce que je pense plutôt que d'écrire une toune avec ça. |
Sans regretter, il trouve qu’il a mis sur CD des affaires qui n’avaient pas leur place. C’est avec plus d’expérience et de maturité que les 10 chansons de Sorel Soviet So What ont été écrites.
L’album débute avec le «Blues à GG» qui malgré le banjo pourrait très bien se retrouver sur les albums précédents. Composé sur un poème de Gérald Godin, le premier titre ne laisse pas deviner un changement de cap. C’est «La part du diable» qui amorce le processus de rupture avec une profonde texture musicale en arrière-plan. Mise en évidence, la voix délivre le texte le plus chargé de l’album sur un swing contrôlé. L’unique refrain de la 2ième chanson met en valeur l’originalité de ses rimes et sa mentalité de ne pas trop s’en faire. Il va comme suit:
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On a toute une poussière ou un grain de sable |
L’énergie prend ensuite son envol avec l’entrainante «Donne-moi-z’en». Les cuivres réussissent continuellement à faire monter l’intensité jusqu’au climax «Quessé de chez quessé qui fait qui faut qu’on parle tant à soir» supporté d’un chœur féminin. La vitesse vertigineuse se poursuit avec «Les pros du rouleau» dans laquelle l’auditeur est témoin de tout le talent du nouveau batteur. Le claviériste s’en donne également à cœur joie sur son Wurlitzer. Après avoir «callé all-in», le sentiment d’urgence disparaît et permet de récupérer un peu du rythme endiablé des deux dernières chansons. «Les étoiles du match» agit ainsi comme un lendemain de veille en plus d’être l’une des rares pièces contenant de l’harmonica. La track suivante est sans aucun doute la plus éclatée de l’album. Suite à une longue introduction free jazz entremêlée à un cri de death métal, «Cadeau de grec» nous transporte sur la route, filant à toute allure à la manière de «LA Woman» de The Doors. La simple et répétitive bassline ainsi que le rapide hi-hat beat cèdent ensuite leur place à un rap déchaîné. Les improvisations de Fred Fortin à la guitare baryton complètent bien le jeu au piano d’Alexis Dumais qui simule facilement une bagarre de saloon.
Après le Far West, le voyage d’Adamus nous amène à la plage avec «Hola les lolos». Le banjo de Dominic Desjardins et la pedal steel de Joe Grass donne au single d’été des allures hawaïennes. Un retour en enfance fait suite à l’hommage aux tétons. Plusieurs peuvent se reconnaître dans les souvenirs de jeunesse évoqués de la chanson «En voiture, mais pas d’char». Le banjo est central pour les 3 minutes et 12 secondes de la plus courte pièce de l’opus. Ensuite, Bernard Adamus enchaîne avec son plus long morceau (5 minutes et 29 secondes), «Blues pour flamme» qui pour l’unique fois de l’album, hurle la douleur de l’ennui. Finalement, l’auteur-compositeur conclut Sorel Soviet So What avec «Jolie blonde» qu’il dédie à sa fille de 13 ans. Drôlement similaire à la valse traditionnelle cajun «Jole Blon», le père lui déclare tout son amour dans un langage infantiles:
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Toi belle fille qui descend les marches devant moi |
FAQUE QUOI?
Fa'que Bernard Adamus ne fait pas de compromis et c’est dans la même ligne de pensée qu’il arrive en septembre 2015 avec Sorel Soviet So What. Sa voix criarde ne plait pas à tout le monde, mais du côté musical, il y en a pour tous les goûts. Les amateurs de ballades douloureuses telles que «La brise» (Brun) et «Les chemins du doute» (Numéro 2) risquent d’être déçus de cet album plus rayonnant. La rapidité des chansons en général peut aussi en essouffler plus d’un. Avec l’aide d’un big band, M. Adamus livre un projet d’une grande texture musicale. Souvent limité à la voix au travers de l’enregistrement, l’auteur-compositeur se départit du titre de chansonnier pour se retrouver à l’avant d’un orchestre high class. Réfléchissant ses péripéties du moment, Sorel Soviet So What déménage, sent la route et pue le party. Bref, il mord dans la vie.
Sources
ADAMUS, Bernard. 2016. Page Facebook, Section «Influences».
BABY-CORMIER, Julien. 2015 «Bernard Adamus – Sorel Soviet So What», Écoute donc, 26 septembre 2015, Section Album.
BERGERAS, Yves. 2015. «Sorel Soviet So what, de Bernard Adamus», Le Droit, 26 septembre 2015, Section Arts-Disques.
BOULIANNE, Louis-Philippe et Mathieu MASSÉ. 2015. Entrevue filmée : «Bernard Adamus- Sorel Soviet So What», Impact Campus, Chaîne YouTube, ajouté le 1er octobre 2015, 2min16.
CYR, Jean-François. 2015. «L’album Sorel Soviet So What: ‘’What you see is what you get’’ – Bernard Adamus », Le Huffington Post Québec, 24 septembre 2015.
DEP. 2015. «Bernard Adamus Sorel Soviet So What, Distribution Exclusive Pindoff [DEP]», 25 septembre 2015, Section Catalogue-Musique populaire.
LABRÈCHE, Louis-Philippe. 2015. «Bernard Adamus: Sorel Soviet So What », Le Canal Auditif, 24 septembre 2015.
LAPOINTE, Josée. 2015. «Bernard Adamus: la mort du chansonnier », La Presse.ca, 23 septembre 2015, Section Arts-Musique.
McCLURE-POIRIER, Solveig. 2015. «Bernard Adamus lance Sorel Soviet So What aux Foufounes électriques ‘’Fuck the blues, I wanna shine, baby’’», La Bible urbaine, 25 septembre 2015, Section Sorties.
PAPINEAU, Philippe. 2015. «À la vitesse de sa vie », Le Devoir, 26 septembre 2015, Section Culture-Musique.
PETROWSKI, Nathalie. 2010. «Bernard Adamus: la revanche du vendeur de sapins», La Presse.ca,20 novembre 2010, Section Arts-Musique.
WYSOCKA, Nathalia. 2015 «Bernard Adamus: après le blues», Journal Métro, 18 septembre 2015, Section Culture.
BABY-CORMIER, Julien. 2015 «Bernard Adamus – Sorel Soviet So What», Écoute donc, 26 septembre 2015, Section Album.
BERGERAS, Yves. 2015. «Sorel Soviet So what, de Bernard Adamus», Le Droit, 26 septembre 2015, Section Arts-Disques.
BOULIANNE, Louis-Philippe et Mathieu MASSÉ. 2015. Entrevue filmée : «Bernard Adamus- Sorel Soviet So What», Impact Campus, Chaîne YouTube, ajouté le 1er octobre 2015, 2min16.
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DEP. 2015. «Bernard Adamus Sorel Soviet So What, Distribution Exclusive Pindoff [DEP]», 25 septembre 2015, Section Catalogue-Musique populaire.
LABRÈCHE, Louis-Philippe. 2015. «Bernard Adamus: Sorel Soviet So What », Le Canal Auditif, 24 septembre 2015.
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McCLURE-POIRIER, Solveig. 2015. «Bernard Adamus lance Sorel Soviet So What aux Foufounes électriques ‘’Fuck the blues, I wanna shine, baby’’», La Bible urbaine, 25 septembre 2015, Section Sorties.
PAPINEAU, Philippe. 2015. «À la vitesse de sa vie », Le Devoir, 26 septembre 2015, Section Culture-Musique.
PETROWSKI, Nathalie. 2010. «Bernard Adamus: la revanche du vendeur de sapins», La Presse.ca,20 novembre 2010, Section Arts-Musique.
WYSOCKA, Nathalia. 2015 «Bernard Adamus: après le blues», Journal Métro, 18 septembre 2015, Section Culture.
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