Sur la route : Ultramarr, de Fred Fortin
par Maxime Bellegarde
On est loin des années 1950, de la Beat Generation, du jazz et du célèbre roman écrit par Jack Kerouac. D’un côté, Kerouac: un écrivain américain né de parents canadiens-français et de l’autre Fred Fortin: auteur-compositeur-interprète et multi-instrumentiste né dans la région du Lac-Saint-Jean. Le 5e opus solo du québécois ne fait pas mention et ne rend pas explicitement hommage au livre culte de l’auteur américain, mais on peut se permettre de suggérer qu’il y a quelques parallèles entre la musique folk/blues/americana de Fortin et l’ambiance reflétée par le roman de Kerouac. Cette même ambiance a influencé des auteurs-compositeurs-interprètes comme Bob Dylan ou Tom Waits et a inspiré le style musical que l’on retrouve sur cet album intitulé Ultramarr.
Ultramarr a été enregistré en partie au chalet de Fortin à Saint-Prime, accompagné de certains de ses fidèles collaborateurs, dont Pierre Girard (Karkwa, Mara Tremblay, Mononc’ Serge…) à la prise de son, François Lafontaine (Karkwa, Galaxie, Marie-Pierre Arthur…) aux claviers et Olivier Langevin (Galaxie, Gros Méné, Les Dales Hawerchuck…) à la basse. À cet alignement déjà assez bien nanti s’ajoutent les deux frères Andrew et Brad Barr (The Barr Brothers), des vétérans de la scène musicale montréalaise qui ont joué au Late Show with David Letterman en 2012 et qui ont fait la tête d’affiche dans le cadre du Festival de Jazz de Montréal en 2012 et en 2015. Il est à noter qu’il y a deux «rr» à la fin d’Ultramarr et de Barr...
Avec la participation de tout ce beau monde à l’enregistrement de onze chansons, on obtient un album qui possède un riche éventail de sonorités et une profondeur qu’on ne retrouve pas sur les opus précédents de Fred Fortin. L’ajout du pedal steel guitar et du Wurlitzer dans ses compositions en est un bon exemple et cela donne un côté très «indie» au blues de Fortin. Un son qui rappelle parfois ce que Daniel Lanois avait proposé sur ses albums For The Beauty of Wynona (1993) et Belladonna (2005). On peut aussi remarquer des influences de groupes folk rock américain. On pense notamment à Wilco et à la similarité entre le timbre de voix du québécois et celui de Jeff Tweedy. Fortin ne se réinvente pas complètement du point de vue du style de musique présenté, mais il enrichit sa musique d’une plus large palette de couleurs pour proposer des compositions qui ne déçoivent pas et qui sont à l’image de ce que l’artiste a créé précédemment dans sa carrière solo.
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Ultramarr, c’est aussi les ragots d’un vieux routier qui a fait le tour de la province pour gagner sa vie par le biais de la musique et qui nous partage sa passion pour celle-ci. Le premier extrait, ou single comme on dirait en bon franglais, de l’album est «10$» et représente ce mode de vie auquel il se consacre depuis plusieurs années et qu’il semble être prêt à accepter jusqu’à sa mort :
Ton histoire se résume en un trait noir |
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Le verbe «sembler» explique bien le message de la chanson, car l’auteur nous laisse l’impression qu’il est conscient que c’est son destin, sa destination finale. La route, l’aventure, les voitures, la vieillesse, l’essence, la remise en question de l’auteur et la routine de la vie de tournée sont des thèmes récurrents sur cet album qui suit la logique du titre. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil à la pochette de l’album, une voiture dessinée en noir et blanc par Martin Bureau: celle-ci représente le côté brumeux et vieillot des compositions. Les pièces «Ultramarr» et «L’amour ô Canada», s’ajoutent à la thématique de l’album. Cette dernière est un hymne à Stephen Harper et à ses sables bitumineux, teinté de sarcasme tant du côté des textes que du côté de la musique :
Fais-toi z’en pas pour moi, chu né comme ça |
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Il serait en effet difficile, voire impossible que Fred Fortin encense l’ex-premier ministre canadien, d’où l’ironie du texte de cette chanson. Bref, une belle critique du gouvernement de Stephen Harper envers ses politiques favorisant l’exploitation du pétrole canadien lorsqu’il était à la tête du pays.
La pièce «Ultramarr» quant à elle illustre bien le côté routinier du travail, de la vie et les compromis que cela implique. Le personnage dans la chanson en a marre d’être mécanicien, mais même s’il travaillait ailleurs, il ne serait pas plus motivé ou plus heureux. On peut être tenté de faire un lien entre le personnage et l’auteur-compositeur. En effet, on pourrait en déduire que Fred Fortin en a assez de la vie de tournée, de la route et de l’aventure.
On est-tu mardi ou mercredi? |
Captation par Anik Benoit, Montréal, 16 avril 2016.
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En résumé, cet album québécois à la saveur de blues américain s’écoute très bien du début à la fin. Le trajet musical s’effectue sans accrochage sous une température ennuagée, car il ne s’agit pas de l’album le plus joyeux. Fred Fortin nous prouve encore une fois qu’il est dans une classe à part et qu’il fait partie d’un groupe restreint d’auteurs-compositeurs-interprètes québécois aux parcours sans faute. Ultramarr ne révolutionne pas le genre, mais on apprécie l’authenticité qu’il nous propose grâce à la qualité des compositions, ce qui en fait un sérieux prétendant pour le prochain Gala de l’ADISQ. C’est le type d’album qui possède quelques chansons qui pourraient obtenir un certain succès commercial dans les radios avec, par exemple, «10$» . Son passage à l’émission La voix en avril dernier lui a peut-être permis de se faire connaître davantage du grand public. Bref, c’est un album qui conviendra à quiconque apprécie le blues/folk à l’Américaine; un album fait sur mesure pour être écouté en voiture sur la route vers une destination improvisée.
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