Jésus de Joensuu
Critique de l'album Amen 2 de Mikko Joensuu
Par Jean-Philippe Payette
Si on trouve en finnois de charmants joyaux comme la formation Pariisin Kevät qui fait le pont entre la musique formatée pour les radios privées et celle plus impétueuse destinée aux oreilles tendues (Musta laatikko, 2015), ou encore Joose Keskitalo, le Leonard Cohen de la Finlande orientale, jeune Vladimir Vissotski local qui, entre valse, tango et folk fragile, vient de faire paraître Julius Cesarin anatomia (2017), l’artiste Mikko Joensuu, qui chante en anglais, mérite qu’on lui accorde une attention particulière.
L’histoire commence en 2008. Cette année-là, je commençais lentement une vie entre Montréal et Helsinki, entre la métropole québécoise, où je jouais de la musique, et la capitale finlandaise, où j’en écoutais beaucoup. J’étais alors de passage en Finlande pour quelques mois. Au Québec, c’était l’année de Volume du vent de Karkwa, c’étaient les premiers pas de Cœur de Pirate, c’était la parution de Parc Avenue de Plants and Animals. J'ai souvenir d'un printemps musical sonique ayant duré plusieurs saisons et nous ayant fait le plus grand bien.
À l’époque, en Finlande, les sonorités qui font le «son de Montréal» se faisaient assez timides: on y trouvait essentiellement les explorateurs de l’étiquette Fonal Records tel Paavoharju et quelques groupes désormais perdus de vue voire morts et enterrés sans cérémonie. Du lot, je persiste à croire que les groupes Rubik et Magyar Posse (imaginez une musique post-rock pour un film de Sergio Leone) n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritaient. Si ce n’est pas le propos de ce texte, cela nous dit tout de même quelque chose sur le décor: il était difficile de trouver sa place au soleil au pays des nuits éternelles, des soirées de tango du troisième âge et de la plus grande concentration de groupe métal par habitant du monde.
À Montréal, alors devenue ville d’adoption pour un nombre grandissant de Nord-Américains en quête d’une ville au facteur bohémien bon marché, c’était aussi la parution de At Mount Zoomer de Wolf Parade, album que la bande de Spencer Krug viendra présenter au Tavastia, salle de spectacle mythique de Helsinki, un soir de novembre de cette année-là. Première partie? Joensuu 1685, formation shoegaze composée de gamins dans la petite vingtaine menée par, nimen est omen, Mikko Joensuu.
Le groupe venait alors de faire paraître son disque éponyme, habile exercice de synthèse du rock soporifique à la Slowdive, à la My Bloody Valentine et à la Jesus and Mary Chain. On aurait bien entendu ce groupe verser ses guitares sur des scènes du film Lost In Translation de Sofia Coppola. Spencer Krug (aujourd’hui auteur-compositeur-interprète du projet Moonface) capote/hallucine en trouvant sur scène une formation encore verte au potentiel indiscutable qu’il invitera quelques années plus tard à faire plusieurs premières parties de sa parade lupine lors d’une tournée européenne.
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Les années passent et le projet Joensuu 1685 suspend ses activités: tombe le 1685 et se greffe au nom propre le prénom du jeune homme. Mikko Joensuu débute son aventure en solo en dévoilant une trilogie. Il y eut d’abord Amen 1 (printemps 2016) puis Amen 2 (automne 2016, qui fait l’objet de cette critique) et Amen 3, qui paraîtra en 2017, le tout sur l’étiquette Svart Records.
Amens
Cette trilogie est le récit d’un renoncement, d’une dévotion qui s’étiole. Enfance pentecôtiste, croyance aigüe et relation prégnante à Dieu se retrouvent mises en pièces et traitées au rock shoegaze, aux infusions pop, country et gospel. Enregistrée entre son chalet de Lappajärvi, la House of Amen, et le Suomenlinnan studio, le triptyque s’ouvre sur des guitares acoustiques prédominantes et de fins voiles de lap steel, de cordes et de piano.
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La proposition évoque un americana aux couleurs de neige, un ciel évangélique entre chien et loup (Father John Misty, Sufjan Stevens) qui donnera parfois l’impression à l’oreille voyageuse que la Finlande est située quelque part au Tennessee; on pense à Blaze Foley, mais aussi à ces chantres qui s’expriment au fusain clair comme Leonard Cohen et Nick Cave. On le sent dès les premières mesures, le country est le sel de son éducation musicale: le garçon a en effet passé une enfance avec de l’eau bénite au biberon et du Hank Williams dans les oreilles. Il dira à Harri Römpötti du quotidien finlandais Helsingin Sanomat qu’il en a retenu cette aptitude à confectionner, sourire aux lèvres, des chansons au propos lourd.
Sur des chansons écrites au «je», Joensuu s’adresse, entre ombre et lumière, à Dieu, ou tutoie des êtres aux contours flous. De cette marche entre les mots «Darkness» et «light» il y aurait de quoi créer un nouveau jeu où il faudrait boire un shooter de vodka à chaque fois qu'un mot issu de ces champs lexicaux est prononcé: vol direct en concorde vers le coma éthylique assuré. Je n’ai pas essayé.
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Le second né de la trilogie convie au temple une énergie autrement plus pop évoquant tantôt Arcade Fire et U2, pour leurs cadences enjouées et leurs aguicheries (les Scandinavophiles pourraient même reconnaître les premières années de la formation Kent), tantôt Sigur Ròs, pour les falsetti s’écrasant contre des murs de son et des claviers. À cet égard, «Drop Me Down» a tout de l’ossature d’un morceau comme «Glósóli» des Islandais. Quant à lui, le morceau «There Used to be Darkness», premier extrait de l’album qui s’étend sur un peu plus de onze minutes, emballe et pèse tous les jeux de comparaison mentionnés plus tôt. On découvre Joensuu en surexposition, visage pointant vers la lumière.
There used to be darkness in my heart L’album a tous les codes de la nervosité abrasive, et il s’en dégage pourtant une forme d’apaisement, une impression de lutte sans merci avec la part contaminante de sa foi où l’on voit poindre l’aurore, servant ici de fil rouge entre les deux prières de renoncement: le critique finlandais Arttu Seppänen souligne d’ailleurs la cohabitation des morceaux «I’d give you all» sur Amen 1 et de «I gave you all» sur le second, jeu de temporalité verbale révélateur qui fait bien voir le chemin que l’auteur-compositeur-interprète parcourt au fil de sa trilogie. |
Au nom des pères, on trouve ici un fils qui confirme avec son Amen 2 qu’il a su assimiler les références, qu’il a su les faire siennes pour mieux proposer une équation où l’addition des ressemblances et des emprunts font apparaître son unicité. Et tout ça est fait avec beaucoup de transparence. Il paraît cependant difficile de refaire du Mikko Joensuu.
I gave you all
And you gave me some
The spark I once had has now turned to a sun
The morning will rise and the darkness is done
I know what I’ve been
And I know what I’ll become
C’est un album à la voix humble et pleine, qui nous fait imaginer Sisyphe heureux, qui prend son temps, qui distille ses mélodies sur des plages qui font tout de même entre 4:53 pour la plus courte, 20:37 pour la plus longue. Le délitement pentecôtiste et la relation frontale avec la nature finlandaise ne sont jamais bien loin en ce territoire où les chansons sont écrites à l’encre purgative:
I’m listening to the dying rain |
Ou encore:
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Oh my dear God I don’t know |
Au pays de Saku Koivu, la crèche hipster se rassemble et est ravie d’avoir enfin trouvé son porte-flambeau de classe mondiale. Si le premier disque de la trilogie fut lancé dans une église, on a célébré la naissance du deuxième nouveau-né dans un vieil atelier d’usinage (Konepajan Bruno), vestige d’un ancien quartier industriel où la jeunesse tend à s’agglomérer depuis quelques années. Images de montagnes projetées derrière les musiciens en formule grand déploiement: section de cordes, chœur et quatuor rock. La totale.
Nous ne savons pas pour l’instant si Amen 2 est un disque pivot qui mènera vers un ouragan baptisé Amen 3, point final d’une trilogie qui serait donc à la fois crescendo et chemin de croix ou encore la pièce centrale d’un triptyque se refermant comme il s’est ouvert. On peut cependant se réjouir de voir l’exercice permettre à Joensuu, les pieds sur les pédales de distorsion et les yeux fixant un ciel de traîne, de renouer avec ses anciennes amours, et aux auditeurs de se prêter à un distant vague-à-l’âme traité au fuzz délicat, à une curieuse valse nostalgique s’achevant sur un horizon bleu d’ondoiements et de paysages escarpés. On tient là un album qui doit sortir de son pays natal.
Sources
RÖMPÖTTI, Harri. 2016. «Mikko Joensuu puhui lapsena kielillä, nyt hän kertoo tarinansa Amen-levytrilogiassa». Helsingin Sanomat.
SEPPÄNEN, Arttu. 2016. «Mikko Joensuu : Amen 2». Savon Sanomat.
SEPPÄNEN, Arttu. 2016. «Mikko Joensuu : Amen 2». Savon Sanomat.
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