Plusieurs mouvements sociaux, politiques et culturels, locaux ou globaux ont marqué la vie musicale montréalaise de la période couverte par le projet, soit de 1921 à 1952. Ancrée dans l’histoire musicale de la province, la période s’étend du début de la radiophonie au Québec, en 1919, à celui de la télévision, en 1952. Elle couvre aussi la toute première participation des femmes blanches à une élection fédérale puis provinciale, l’immense montée en popularité du jazz et d’artistes racialisés, et les premiers développements d’une pensée québécoise identitaire ancrée dans la culture et la langue

Débutant après la fin de la Première Guerre mondiale, la période étudiée est effectivement riche en changements sociopolitiques : les années folles, la Grande Dépression, une montée du fascisme, un nouvel impérialisme des puissances mondiales, la Seconde Guerre mondiale et des tensions qui mèneront, après la fin de notre période, à la guerre froid

Au cours des années 1920, le jazz et les musiques populaires prennent une place de plus en plus importante sur la scène musicale, dans les salles de spectacles, à la radio puis au cinéma. La consommation de la musique passe aussi par le théâtre, le cinéma et le vaudeville, un phénomène répandu et incontournable en Amérique du Nord. L’avènement de technologies sonores vient aussi graduellement bouleverser les formes d’art et la consommation de la musique. Avec la création de CKAC en 1922, la radio devient graduellement plus commune et offre une variété de musiques accessibles en direct depuis les foyers montréalais. En 1928, le cinéma connaît sa propre révolution : de muet – mais accompagné en salles par des musiciens – celui-ci devient sonore, changeant du tout au tout l’expérience du public.

Ainsi, le choix des dates étudiées pour la première phase du projet a été pensé en fonction d’événements précis de la période. Elles ont toutes été proposées par une ou un membre de l’équipe Vie musicale au Québec, selon leur discipline et leurs intérêts de recherche. Cet article, sans entrer dans le détail des dates choisies, en dresse les grandes lignes de façon à donner un aperçu de la période dans son ensemble.

La première date à l’étude, le 25 novembre 1920, a été soumise par Laura Risk, professeure de musicologie à l’Université de Toronto Scarborough et spécialiste de l’étude des musiques traditionnelles québécoises. Cette date permet une incursion dans un phénomène musical et culturel central de la période : la tenue des Veillées du Bon Vieux Temps au Monument National. Il s’agit d’une série de soirées dédiées à célébrer le folklore québécois avec des chansons, des contes et autres récits. Ces soirées, qui reviennent à quelques reprises dans les données des autres dates, ont exercé une influence marquée sur l’imaginaire culturel et identitaire québécois. Soutenue par la Société du Folklore d'Amérique, section de Québec, la soirée de 1920 était placée sous la direction de Marius Barbeau, figure marquante de l'étude de la musique folklorique et de l'ethnomusicologie canadienne (Landry et Ménard, 2007). Ces soirées ont eu un succès majeur, l'entièreté des places était souvent vendue rapidement.


La date du 6 décembre 1921 fait l’objet d’un article plus détaillé de ce numéro de L’Écouteur. Vanessa Blais-Tremblay, professeure de musicologie à l’UQAM et chercheuse en études féministes a choisi cette date en raison de la tenue des premières élections fédérales canadiennes pour lesquelles les femmes blanches ont pu voter. Les éditoriaux et articles de journaux rapportant cette première participation féminine mentionnent à plusieurs reprises la présence de musique, entre autres pour interrompre un discours conservateur (voir l’article de Pascal Desroches). Considérée en parallèle avec la nostalgie conservatrice sous-tendant les Soirées du Bon Vieux Temps, la musique apparaît comme outil politique et social puissant. Cette date fait aussi l’objet d’un article scientifique rédigé par Vanessa Blais-Tremblay dans la revue Mens.

Figure 1: La Presse, 23-11-1920, numéro 19, page 9

Figure 2: Le Devoir, 6-12-1921, numéro 284, page 3

Le choix de la troisième date, le 31 juillet 1924, n’est pas en lien avec un événement politique, social ni même public. Sandria P. Bouliane, professeure de musicologie à l’Université Laval, a proposé cette date car elle correspond à l'enregistrement de trois pièces musicales au Studio Compo par le musicien Afro-Américain établi à Montréal Millard G. Thomas et son Chicago Novelty Orchestra. Thomas réalisa de nombreux arrangements de musique, jazz et populaire, destinés à être enregistrés et eut une présence significative dans la vie musicale francophone et anglophone de la ville au long des années 1920. Cette date est analysée en détail dans l’article scientifique que signe Sandria P. Bouliane dans la revue Mens.

La dernière date des années 1920, le 1er juillet 1928, a été choisie par Laura Risk car elle apporte un élément de surprise à l’analyse : il s'agit de la journée de la parade des chars allégoriques de la St-Jean-Baptiste, déplacée à cause d'une mauvaise météo! Cette année-là, le thème de la parade est la chanson traditionnelle à travers les époques. La place centrale de la musique dans les articles entourant les célébrations révèle non seulement l’importance de la musique dans le tissu social et culturel de l’époque, mais aussi son utilisation pour créer et renforcer un imaginaire national souvent nostalgique et conservateur. Il est possible de suivre pas à pas cette parade dans l’article scientifique préparé par Laura Risk dans la revue Mens.

Figure 3: Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Figure 4: Martin Toulgoat, Radio-Canada, 2018

Le 6 octobre 1930, première date à l’étude pour cette décennie, a été suggéré par Jean-Marc Larrue, professeur à l’Université de Montréal et spécialiste de l’histoire du théâtre au Québec. Cette date permet de suivre le mouvement musico-politique à travers une nouvelle Veillée du Bon Vieux Temps, cette fois sous la direction de Conrad Gauthier, folkloriste, chanteur et comédien (Laframboise, 2007). Il s’agirait de la première participation de Mary Travers dite La Bolduc aux Veillées, alors qu’elle joue un rôle dans la comédie « Les Feux Follets ». Mary Travers a eu un impact majeur dans la sphère de la chanson populaire au Québec et il était intéressant d'observer sa présence dans une période charnière de sa carrière.

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Figure 5: S.I.:s.n., entre 1906 et 1937

Le 28 juillet 1935 marque la de fin des festivals d'été du parc Dominion. Sandria P. Bouliane a suggéré cette date car Muriel Millard, âgée de 12 ans, remportait ce jour-là une 3e  place dans un concours de talents. Cette première apparition de Millard dans la presse a aussi montré que l’étude des concours amateurs est nécessaire à une meilleure compréhension de la vie musicale de l’époque. Millard aura une carrière flamboyante et diversifiée en tant que chanteuse, comédienne, danseuse, auteur-compositrice ainsi que peintre. En raison de sa présence majeure à la radio et la télévision des années 1940 à 1970, elle reçoit le surnom de « miss music-hall » (Thomas et McIntosh, 2007).

Le 12 janvier 1938 est le début d’une série de concerts donnés par Tino Rossi au théâtre His Majesty's. Chantal Savoie, professeure de littérature à l’UQAM et spécialiste de l’histoire des femmes et de la culture de masse, a suggéré cette date pour étudier l’impact de la présence de la vedette française sur le milieu culturel montréalais. Rossi y joue les matins et soirs jusqu'au 17 janvier avec un programme de Music-Hall. Étant donné sa popularité, son passage à Montréal fut un événement majeur pour la vie musicale de la ville.

Figure 6: AFP Photo, Janvier 1936

​Pour la dernière journée des années 1930, la recherche s'est portée sur le 31 décembre 1939. Pour Sandria P. Bouliane, il s’agissait d'analyser la multitude de concerts donnés pour célébrer la nouvelle année et le changement de décennie. Ici, le contraste entre les nombreuses festivités à travers la ville et le contexte politique mondial pousse à s’interroger sur la fonction de la musique en temps de crise.

Figure 7: La Presse, 30-12-1939, numéro 63, page 39

Pour cette première phase du projet, une seule date a été sélectionnée pour les années 1940, soit le 8 juillet 1944, date à laquelle les Québécoises exercent leur droit de vote au provincial pour la première fois. Proposée par Vanessa Blais-Tremblay, cette date fait écho à l’analyse du 6 décembre 1921. L'enjeu était ainsi d'observer comment ce changement historique a influencé la vie musicale à Montréal, en particulier dans le contexte culturel et identitaire, le Québec étant la dernière province canadienne à accorder ce droit à ses citoyennes.

Figure 8: Archives La Presse, 25 avril 1940

​Le 17 mars 1952, dernière date à l’étude, revient sur le thème des soirées musicales en mettant cette fois l’accent sur le répertoire classique. Danick Trottier, professeur de musicologie à l’UQAM, a suggéré cette date qui marquait la dernière soirée-débat donnée par André Mathieu au Cercle Universitaire. Mathieu démontre à un très jeune âge un talent remarquable pour le piano, et devient un compositeur important du 20e siècle. Il est aujourd’hui un incontournable de l’histoire musicale du Québec, comme en témoignent les salles de concert portant son nom (Spier et Potvin, 2012). Le débat du 17 mars 1952 portait sur le Théâtre d'Hier et d'Aujourd'hui et amorce la fin de la carrière de Mathieu. C’était aussi l’occasion de clore la première phase du projet Vie Musicale au Québec.

Figure 9: Le Canada, 14-03-1952,
numéro 288, page 7

​Si chaque date à l’étude permet une analyse de problématiques sociales, politiques, culturelles et identitaires précises, c’est en les considérant dans leur ensemble que l’on comprend à quel point la vie musicale d’une époque est liée aux changements et événements qui l’articulent. Les dates sur lesquelles la recherche s'est portée ont donc permis d’approfondir notre compréhension du lien en constante évolution entre la musique, le quotidien, la politique et l’histoire au cœur de la vie culturelle montréalaise.

Médiagraphie:

AFP Photo (1936, janvier). Musique – Tino Rossi [photo]. Tiré de http://u.afp.com/iyXB
 
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Bureau, S. (Animateur). (2020, 24 juin). Petite histoire de la Saint-Jean-Baptiste [Podcast]. Tiré de https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/bien-entendu/segments/entrevue/185517/saint-jean-baptiste-laurent-turcot
 
(1952, 14 mars). Le Canada, p.7. Tiré de https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3575171
 
Collard, N. (2012, 8 mars). Il y a 30 ans, le Collectif Clio. La Presse. Tiré de https://www.lapresse.ca/arts/livres/201203/08/01-4503559-il-y-a-30-ans-le-collectif-clio.php
 
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Thomas et McIntosh (2007, 29 mai). Muriel Millard. Tiré de https://www.thecanadianencyclope  dia.ca/fr/article/muriel-millard
 
Toulgoat, M. (2018, 10 juillet). Tiré de https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/bon-pied-bonne-heure/segments/chronique/79250/bolduc-gaspesie-musee-histoire-carriere-mary-travers
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PROJET VIE MUSICALE ​
​AU QUÉBEC

6 DÉCEMBRE 1921