Le vent dans les voiles
par Julien Alarie
Décidément, David Marin a le vent dans les voiles. Son deuxième album, Le choix de l’embarras, sorti en 2013, a reçu un accueil critique inespéré, culminant au moment de sa nomination au Gala de l’ADISQ l’an dernier pour son travail d’auteur-compositeur-interprète, catégorie qu’il convoitait et «que tout le monde respecte » [voir la Note 1]. Malgré sa défaite aux mains de Philippe B, le trentenaire originaire de Drummondville se dit « choyé » de cette première nomination d’envergure, lui qui n’est pourtant pas étranger aux succès et à la reconnaissance – pensons à sa victoire au concours Ma première Place des Arts il y a une dizaine d’années et sa finale aux Francouvertes de 2006. Son premier album À côté d’la track (Marin 2008) a ravi la critique et mis les projecteurs sur le pianiste-guitariste-accordéoniste à la voix grave et enrouée. Entre son premier et son deuxième opus se sont écoulées sept années, mais David a trimé dur, travaillant d’arrache-pied entre deux spectacles à la confection de son album le plus personnel, le plus puissant. L’arrivée de deux enfants – Éliane et Charlie – a eu entre temps l’effet d’une bombe et l’a poussé à remettre en doute sa carrière, lui qui s’autoproduit et doit par conséquent trouver les 40 000$ nécessaires à la sortie de ses albums. Il a aussi dû trouver la motivation, chose plus facile à dire qu’à faire après un premier album, sorte de « best-of de tout ce [qu’il avait] écrit jusque là ». Pour le deuxième album, David Marin avoue qu’il est parti de zéro et a dû se trouver une nouvelle méthode de travail. On ne peut s’empêcher de se dire que le jeu en a valu la chandelle : Le choix de l’embarras est un album à la fois personnel et engagé, aux accents souvent folk, parfois rock, avec une attention infinie portée à la langue. C’est aussi une œuvre festive, optimiste, assumée, « qui donne le goût de sacrer son camp en auto, en train ou whatever ».
Le choix de l’embarras a fait l’objet de toute une série d’articles dans les principaux journaux l’année dernière. Le Devoir en a fait « son album le plus essentiel de l’automne » (Cormier 2013) ; il ne fait nul doute qu’il y a là quelque chose d’automnal, de nostalgique, et de rafraîchissant. Le Soleil le décrit comme un «disque abouti qui fait du bien»(Houde 2013), louangeant à la fois l’immense travail artistique accompli et la douceur feutrée du folk offert par l’auteur-compositeur-interprète. Tous s’entendent sur la qualité immense de la langue, l’attention portée aux détails, les jeux de mots qui se glissent à chaque fin de phrase: pour Le Voir, il s’agit là d’une œuvre permettant à la «langue française de revêtir ses plus beaux habits» (Robillard Laveaux 2013). Les mélodies, les agencements sonores et le rythme figurent tous au palmarès des hommages les plus souvent rendus, mais la beauté de la langue – on parle ici d’une beauté qui soit faillible, qui allie anglicismes, québécismes et petites perles du français – est sur toutes les lèvres. L’extrait « Le vent vire » (Pièce 5) tourne beaucoup à la radio et plusieurs ont salué le choix approprié de single : il y a là des sonorités résolument pop, à mille lieues des morceaux plus lents, aux accents tantôt country, tantôt psychédéliques. Avec son refrain qui s’immisce dans nos cerveaux et refuse d’en sortir, « Le vent vire » rappelle vaguement le travail de Vincent Vallières et montre tout l’étalage du talent de David Marin, dont la voix se prête aussi bien aux mélodies poétiques qu’aux morceaux accrocheurs.
Le choix de l’embarras a fait l’objet de toute une série d’articles dans les principaux journaux l’année dernière. Le Devoir en a fait « son album le plus essentiel de l’automne » (Cormier 2013) ; il ne fait nul doute qu’il y a là quelque chose d’automnal, de nostalgique, et de rafraîchissant. Le Soleil le décrit comme un «disque abouti qui fait du bien»(Houde 2013), louangeant à la fois l’immense travail artistique accompli et la douceur feutrée du folk offert par l’auteur-compositeur-interprète. Tous s’entendent sur la qualité immense de la langue, l’attention portée aux détails, les jeux de mots qui se glissent à chaque fin de phrase: pour Le Voir, il s’agit là d’une œuvre permettant à la «langue française de revêtir ses plus beaux habits» (Robillard Laveaux 2013). Les mélodies, les agencements sonores et le rythme figurent tous au palmarès des hommages les plus souvent rendus, mais la beauté de la langue – on parle ici d’une beauté qui soit faillible, qui allie anglicismes, québécismes et petites perles du français – est sur toutes les lèvres. L’extrait « Le vent vire » (Pièce 5) tourne beaucoup à la radio et plusieurs ont salué le choix approprié de single : il y a là des sonorités résolument pop, à mille lieues des morceaux plus lents, aux accents tantôt country, tantôt psychédéliques. Avec son refrain qui s’immisce dans nos cerveaux et refuse d’en sortir, « Le vent vire » rappelle vaguement le travail de Vincent Vallières et montre tout l’étalage du talent de David Marin, dont la voix se prête aussi bien aux mélodies poétiques qu’aux morceaux accrocheurs.
Le lancement de Le choix de l’embarras à l'été 2013 est le fruit de la collaboration de trois artistes: Marin, Louis-Jean Cormier, le chanteur vedette du feu groupe Karkwa dont la carrière solo a depuis pris tout qu’un envol, et Pierre Fortin, qui l’accompagne en tournée et partage sa belle énergie (j’ai pu la découvrir le 14 novembre dernier lors de son spectacle, qui lui a d’ailleurs valu une nomination aux prestigieux CBC Awards dans la catégorie « performance live »). Les trois gars ont passé un temps fou dans un sous-sol de Montréal, un « endroit qui ne donne pas l’impression d’être en train d’enregistrer officiellement»(Cormier 2013) , à faire des essais-erreurs, à enregistrer certains morceaux, à en rejeter certains autres, mais toujours dans une atmosphère de grande liberté : avec David, « tout le monde peut mettre sa couleur ; souvent [il] arrive avec une mélodie puis des accords et eux ils complètent ». Cette collaboration de longue date – les trois ont également travaillé au premier opus de David Marin – explique l’impression d’aboutissement, de complétude, de travail bien fait, comme si leurs énergies et leurs idées avaient fusionné pour le bien de l’album. Les complices ont tous eu leur mot à dire:
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l'album s'est dessiné peu à peu selon une géométrie variable, des fois tous ensemble, des fois à deux, des fois c’est Louis-Jean qui faisait de son bord un trip de guit’, des fois Pierre qui se lâchait sur la caisse claire comme un fou. |
David Marin se dit chanceux de pouvoir compter sur l’aide de ses deux fidèles acolytes, toujours aussi généreux malgré leur emploi du temps chargé – rappelons le succès retentissant du tournant solo pris par Louis-Jean Cormier, dont la consécration fut son rôle de juge à l’émission La Voix, écoutée par près de trois millions de personnes et sacrée « Émission de l’année » aux Félix de 2013. Pierre Fortin, bien connu dans le monde de la musique, a véritablement « déployé sa force de frappe » à l’occasion de cet album, au grand bonheur de son grand ami David Marin.
Le parcours de l’auteur-compositeur-interprète vers cet album n’a pas toujours été facile et, conscient que sa musique ne soit pas grand public et qu’elle n’attirera probablement jamais 50 000 personnes chez les disquaires, David Marin avoue avoir failli tout arrêter. L’auto-production, «aventure qu’il n’est pas certain de vouloir recommencer» vu le risque financier qu’elle comporte, et l’industrie du disque tout sauf clémente depuis quelques années, a causé bien des doutes à David, pour qui il est impossible de «tout arrêter pour en écrire un».
David Marin, c’est un authentique, un naturel, un gars sans trop d’artifices comme sa musique, sentie et assumée. Il passe un peu inaperçu, il fraie son chemin en cumulant les critiques de ceux qui connaissent la musique et savent en apprécier la valeur artistique, mais ne s’adresse pas à tous. Après une remise en question qui n’a su le faire renoncer à sa passion, l’invitation qu’il reçoit pour participer au projet des Douze hommes rapaillés – il admire le travail de Gaston Miron – ainsi que le déploiement de «grands mouvements sociaux» comme le Printemps 2012 lui ont donné la motivation qu’il fallait, lui ont montré «qu’il y aurait des oreilles réceptives à ce qu’[il] avait envie de dire». Les mesures d’austérité du gouvernement ont d’ailleurs fait l’objet de petites piques à saveur ironique de la part du chanteur très engagé lors de son spectacle à la salle Pauline-Julien.
Dans «Mes dépendances» (Pièce 9), l’auteur-compositeur-interprète met le doigt sur des maux sociaux, notamment l’obsession pour le pétrole, qui le «chicote» et lui «fait peur». Les commentaires politiques ne prennent pas toute la place, mais on les sent poindre à quelques moments clés.
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Toute la puissance de l’album, la raison pour laquelle «beaucoup de gens lui ont écrit» pour lui confier que ses chansons avaient été «la trame sonore d’un moment de leur vie», réside en le pouvoir évocateur des mots choisis. Les jeux de mots font sourire et miroitent toute la poésie de David Marin: pensons encore à «Mes dépendances» («Veux tu m’aider / Mes dépendances») ou «À l’abri du tempo» (Pièce 6) («Le naturel revient au bungalow») qui en contiennent plusieurs. Défenseur de la langue française, il craint que les textos ne finissent par ralentir le développement de la langue, lui qui n’est pas très familier avec les réseaux sociaux. Il incite à la vigilance en ce qui concerne le français, langue dont il faut être fier et rappelle l’état des choses : «la réalité, c’est qu’on est quelques millions dans une mer anglophone». Même s’il avoue que «ses chansons sont comme des mini-films qui ne prennent sens qu’avec la bonne mélodie», David Marin ne cache pas l’importance de l’écriture et son amour pour «les ressources que la langue peut offrir», lui qui se laisse souvent inspirer par la langue familière, témoin de son authenticité, de sa volonté de s’engager dans la vie des gens, de leur ressembler.
Si les commentaires socio-politiques sont subtils et disséminés, un autre type d’engagement, plus important aux yeux de David, est omniprésent: celui, «plus palpable», que sa musique lui permet d’avoir dans la vie des gens. Il soulève des thèmes très personnels, souvent empreints de l’«humour noir» qui lui est caractéristique, mais qui flirtent parfois avec la romance et la tendresse, un domaine qu’il s’était refusé d’explorer dans son premier opus : la sublime chanson «Étoile de mer» en fournit l’exemple le plus évocateur. «Tunnel» est une sorte d’hymne à l’espoir devant ce monde imparfait, un cri d’urgence lancé à un « réparateur » qui possèderait les outils pour construire le bonheur. Cette planète faillible, qu’il caractérise de «plus carrée que ronde» dans «À l’abri du tempo», fait l’objet de plusieurs mentions. David Marin se dit lui-même particulièrement fier de son album: «C’est un disque que j’aime beaucoup, qui représente bien mon côté incisif et mon côté plus émotif, plus senti».
Si les commentaires socio-politiques sont subtils et disséminés, un autre type d’engagement, plus important aux yeux de David, est omniprésent: celui, «plus palpable», que sa musique lui permet d’avoir dans la vie des gens. Il soulève des thèmes très personnels, souvent empreints de l’«humour noir» qui lui est caractéristique, mais qui flirtent parfois avec la romance et la tendresse, un domaine qu’il s’était refusé d’explorer dans son premier opus : la sublime chanson «Étoile de mer» en fournit l’exemple le plus évocateur. «Tunnel» est une sorte d’hymne à l’espoir devant ce monde imparfait, un cri d’urgence lancé à un « réparateur » qui possèderait les outils pour construire le bonheur. Cette planète faillible, qu’il caractérise de «plus carrée que ronde» dans «À l’abri du tempo», fait l’objet de plusieurs mentions. David Marin se dit lui-même particulièrement fier de son album: «C’est un disque que j’aime beaucoup, qui représente bien mon côté incisif et mon côté plus émotif, plus senti».
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Un clip de Akim Gagnon Parole et musique : David Marin Production : Simone Records |
Ce côté «plus senti» se traduit aussi par une grande liberté générique : du country minimaliste de « Cobaye», première chanson de l'album, à la pop accrocheuse de «Le vent vire» en passant par le folk-rock de «L’abri du tempo», l’auditeur passe par une multitude d’ambiances. Lorsqu’on lui demande de définir lui-même son genre musical, David Marin utilise sans trop hésiter le terme «folk», qu’il voit comme «une sorte de retour aux racines» permis par l’utilisation d’instruments acoustiques réels. Il est lui-même un accordéoniste et un guitariste accompli, même s’il avoue avoir une préférence pour le piano, qui lui donne plus de «range». Ses spectacles mettent d’ailleurs les instruments à l’avant-plan comme en témoignent les trois musiciens qui l’accompagnent sur scène et confèrent à l’ensemble une impression de party. David Marin avoue avoir un penchant pour la fête, pour l’ivresse et se décrit comme un «trippeux», ce que son spectacle confirme sans aucun doute. Honnêtement, on a souvent l’impression d’entendre de nouveaux morceaux tellement le spectacle est plus rock, plus festif : l’auteur-compositeur-interprète mentionne qu’ «en show, tu peux tout faire». L’important pour David Marin, c’est de faire ce qu’il aime, ce qui le fait se sentir bien et l’empêche de douter (rappelons qu’il doute de tout, tout le temps): c’est ainsi qu’il «fait des fois plus dans le jazz et qu’ [il] donne d’autres fois quasiment dans le psychédélique». L’album peut ainsi intéresser un large éventail d’auditeurs grâce à une multiplicité de genres.
David Marin aime les départs, les longs voyages, le mouvement: «dans l’entre-deux, entre ton point A et ton point B, tu es dans le temps, dans le mouvement et tu sais qu’il ne se passera rien, que tu es à l’abri des interférences». Pour bûcher sur son troisième opus, l’auteur-compositeur-interprète prévoit d’ailleurs partir en train, un environnement qui l’inspire et le fascine. Cette thématique de la route transcende l’œuvre de David Marin, qui juge justement que son album donne envie de « sacrer son camp », de prendre le large : «ça revient toujours ça, le bord de route, dans mes chansons». La passion du voyage n’est pas nouvelle chez le trentenaire, qui se dit « grand amateur de voyage sur le pouce » et avoue en avoir fait plusieurs étant plus jeune. Dans le livret de Le choix de l’embarras, l’auteur-compositeur-interprète à la superbe plume utilise la métaphore de la route pour écrire sa dédicace: il y remercie son épouse Marie-Claude «sans qui [il] ne saurait conduire sans prendre le champs» et Pierre Fortin pour «ses km de recherche», notamment. Ce thème de la route est vu comme une sorte d’hymne à la liberté, à l’indépendance: les paroles parfois nostalgiques et l’humour souvent noir du chanteur ne parviennent pas à atténuer le vent d’optimisme soufflé par cet album, que l’on s’imagine mettre en boucle en conduisant par une belle journée d’été. La voix de David Marin est chaude et enrouée et on ne peut s’empêcher de donner raison à Isabelle Houde du Soleil quand elle souligne qu’elle «fait du bien».
La présentation visuelle de l’album est à l’image du chanteur, c’est-à-dire sans artifice. La pochette est épurée, entièrement en noir et blanc, et les photographies dévoilent le côté rêveur de David Marin : ses cheveux en broussaille montrent son absence de prétention. Le choix de l’ordre des chansons s’est fait simplement «par élimination» et sous la gouverne de Louis-Jean Cormier, qui «aime ça s’occuper de ça» selon David Marin. Il en résulte un album complet, cohérent, qui alterne les mélodies plus douces et les morceaux plus rock au plus grand bonheur de l’auditeur.
Le choix de l’embarras est le fruit d’un travail acharné du très polyvalent David Marin et de ses deux fidèles acolytes. L’album est résolument à la hauteur de la réception critique des plus positives qu’il a obtenue. S’il est important pour le chanteur dans la trentaine de s’engager politiquement et socialement, il est d’autant plus valorisant de s’engager dans la vie des gens, ce qu’il fait par l’exploration de thèmes très personnels, comme la tendresse ou l’espoir, qui dévoilent un aspect de lui que son premier opus À côté de la track n’avait qu’effleuré. Tous s’entendent néanmoins pour dire que la grande force de l’album se trouve dans la justesse des mots employés et dans l’amour infini de David pour la langue. Comme les thèmes, les genres musicaux abondent dans l’œuvre de David Marin et contribuent à rendre l’album complet et accessible. Dans les derniers mois, l’auteur-compositeur-interprète a poursuivi ses spectacles en France et en Suisse, un marché qu’il n’avait pas percé jusqu’alors, mais s’adonne surtout à l’écriture de son prochain album : «J’ai l’intention d’écrire beaucoup et de peser sur le gaz».
NOTE 1. Propos recueillis par Julien Alarie lors d'une interview accordée par David Marin. Les mentions ultérieures à l’interview seront indiquées par l’usage de guillemets et l’absence de renvoi en bas de page.
Sources
CORMIER, Sylvain. 2013. «David Marin se donne le choix de l’embarras», Le Devoir, 12 octobre 2013.
HOUDE, Isabelle. 2013. «David Marin : longtemps peaufiné», La Presse, 19 octobre 2013.
MARIN, David. 2008. À côté d'la track. Disque compact. Pixelia, PIXCD 7501.
ROBILLARD LAVEAUX, Olivier. 2013. «David Marin: Le choix de l’embarras», Le Voir Montréal, 22 octobre 2013.
CORMIER, Sylvain. 2013. «David Marin se donne le choix de l’embarras», Le Devoir, 12 octobre 2013.
HOUDE, Isabelle. 2013. «David Marin : longtemps peaufiné», La Presse, 19 octobre 2013.
MARIN, David. 2008. À côté d'la track. Disque compact. Pixelia, PIXCD 7501.
ROBILLARD LAVEAUX, Olivier. 2013. «David Marin: Le choix de l’embarras», Le Voir Montréal, 22 octobre 2013.